Quelle leçon tirer de la visite d’Obama en Europe ?
Celui-ci a pris soin de cultiver la relation spéciale avec la Grande-Bretagne et paraît s’entendre avec David Cameron, ce qui mérite d’être souligné compte tenu de la personnalité du président américain, assez froid, plus attaché aux idées qu’aux personnes. Le double arrêt en Irlande et en Angleterre marque aussi une volonté de compenser le manque d’attention à la relation euro-américaine qui a suivi son élection, après son discours de campagne à Berlin par exemple. Obama est populaire en Europe quoiqu’il arrive, mais il semble que l’importance du geste ait été pris plus au sérieux, convaincant la Maison-Blanche de la pertinence d’un passage prolongé et non d’une simple visite-éclair pour le G8 en France.
Après la mort de ben Laden, qui tourne la page de l’héritage Bush et permet une révision plus nette des priorités américaines, il est vrai aussi que les Etats-Unis doivent bien faire le constat qu’en dépit de moyens de plus en plus limités, les Européens restent leurs meilleurs alliés, et que leurs continuels efforts vers une politique étrangère coordonnée avec la création du Service extérieur européen établi par le traité de Lisbonne, va dans le sens d’une coopération plus efficace. Devant les événements arabes, c’est avec les responsables européens, les Britanniques et les Français notamment, que les Américains sont instinctivement en phase. Avec la France ils trouvent même un partenaire qui ne déteste pas le prosélytisme démocratique des néoconservateurs de l’équipe Bush-Cheney-Wolfowitz - quoique beaucoup mieux avisé que celui des militants de l’invasion de l’Irak…
Enfin, Obama a voulu tirer le trait sur la remarque de Rumsfeld à propos de la vieille et de la nouvelle Europe, et sur ses propres négligences vis-à-vis des Européens de l’Est en se rendant en Pologne. Depuis toutes ces années les Européens de l’Ouest, et singulièrement les Français, ont lamentablement raté la réconciliation avec les anciens pays communistes, en particulier la Pologne, manquant une occasion de se faire un allié dans le contexte européen où le poids politique relatif de la France et de l’Allemagne évolue au détriment de la première. On a vu que les Polonais savent ne devoir compter que sur eux-mêmes et restent ardemment favorables aux Etats-Unis, qu’ils voient comme le plus sûr allié de leur liberté recouvrée. La Pologne a aussi besoin de cette reconnaissance et les Américains ont saisi une excellente occasion.
Cette visite offre donc ce que les Européens s’étaient cru en bon droit d’attendre de leur héros post-Bush, c’est-à-dire une démonstration d’inaliénable amitié. Mais pour l’avenir, quel message les Européens doivent-ils retenir d’Obama ?
C’est l’objet de l’épilogue du Monde d’Obama paru cette semaine : retrouver confiance dans la politique et redécouvrir les vertus d’un patriotisme qui s’appelle réforme. A un an d’élections présidentielles en France et aux Etats-Unis, c’est l’élan d’espoir provoqué par Obama en 2008 que les Européens devraient éprouver pour eux-mêmes, ranimant aussi la même flamme patriotique qu’Obama entretient aux Etats-Unis, et qui passe par la réforme pour donner plus d’influence à l’Europe dans un monde où elle a tout son sens. Les révoltes arabes en témoignent, qui aspirent à la prospérité et à la paix. Nos voisins méditerranéens, fatigués par l’histoire, aspirent à un âge européen de tranquillité et d’émancipation. Mais pour peser sur le cours des choses, autant que possible en symbiose avec l’Amérique d’Obama, l’Europe doit retrouver une force intérieure qui depuis longtemps cède au doute et au pessimisme.
29 mai 2011
Obama en Europe
23 mai 2011
Le sillon d'Obama
Le discours du 19 mai sur le Moyen-Orient était un peu le discours du Caire II. Prenant la suite de cet appel fondateur de juin 2009 qui prétendait refondre la relation américano-arabe, Obama a reformulé le cadre de la politique américaine dans la région devant les événements qui s’y succèdent depuis janvier. Au vrai, il s’est aussi rattrapé après avoir laissé l’impression, à tort ou à raison, d’hésiter à soutenir la rébellion en Egypte et en Libye, tandis que le statu quo qui a prévalu depuis son discours du Caire, et le camouflet israélien au sujet de la colonisation qu’il avait clairement indiqué comme l’obstacle clé à la paix, ont désillusionné l’opinion arabe quant au rôle des Etats-Unis.
Ce discours et ses suites, y compris l’intervention d’Obama ce dimanche devant l’AIPAC, le lobby israélien à Washington, inspirent trois remarques :
• Les critiques devant sa position durant les événements ne prennent pas suffisamment en compte les obstacles à une rupture radicale de la politique américaine
• Obama montre une cohérence et une résilience audacieuses sur le sujet du Proche-Orient
• Il place la résolution du conflit israélo-palestinien dans le cadre d’une lutte civique plus qu’internationale qui fait écho à sa propre expérience américaine
Le scepticisme domine au Moyen-Orient car aucun tournant n’est venu soutenir le discours du Caire, et parce qu’Obama n’a pas pu surmonter les blocages au sein de la politique washingtonienne. Le soutien construit au fil du temps au profit de l’alliance américano-israélienne est tel que son caractère dit « inconditionnel » semble gravé dans le marbre au même titre que la Constitution des Etats-Unis. De ce point de vue, le scepticisme est donc justifié. Un président ne peut du jour au lendemain rééquilibrer une situation qui résulte d’une telle intimité. En revanche, les critiques qui dénoncent les hésitations de l’administration américaine ont beau jeu. Il était très difficile de prendre des décisions dans l’urgence, de s’aventurer à engager la crédibilité des Etats-Unis en faveur de mouvements incertains, mal identifiés, contre des régimes en place qui auraient pu mâter une rébellion trop faible et n’auraient alors laissé que le choix entre une rupture sans issue ou un conflit armé ouvert, que l’on aurait probablement vite fait de reprocher aux Etats-Unis comme un signe de leur impérialisme.
Obama fait preuve d’une grande cohérence dans son approche des relations avec le monde arabo-musulman. Pris de court par des événements imprévisibles qui laissent peu de marge d’erreur dans la réponse à leur apporter, et qui sont une étape historique vers le Moyen-Orient qu’il a lui-même décrit au Caire, il réaffirme sa compréhension des enjeux de la région. En particulier, se précise l’idée que l’échec socio-économique depuis les indépendances, par des régimes n’offrant guère de perspective mais confisquant la liberté au nom d’impératifs de sécurité, que ce soit ceux de la guerre froide ou du conflit israélo-palestinien, a nourri l’exaspération libérée dans les révoltes de 2011. Au-delà des relations interétatiques, c’est donc la force de l’émancipation que doit prendre en compte le président américain dans la restauration du leadership des Etats-Unis. Celle-ci fait pleinement écho aux valeurs universelles qu’entend incarner la démocratie américaine, mais elle n’a pas été le résultat d’actions des Etats-Unis. Elle s’est mise en marche sans regarder vers une Amérique dont l’exemple reste amoindri depuis l’invasion de l’Irak, et devant l’absence de changement majeur suite au discours du Caire. Il n’en reste pas moins qu’Obama creuse un sillon. Il conforte sa vision de la région et des relations avec les Etats-Unis, distinguant les Etats et les peuples et affirmant, pour l’essentiel, que la politique et les intérêts expliquent un divorce contre nature entre des Etats-Unis nés d’une rébellion contre un empire, et des peuples aspirant à une semblable émancipation. Cette connivence inaboutie, confisquée par la politique contemporaine, est probablement la raison pour laquelle, malgré la désillusion qui domine dans la région quant à la « magie Obama », une lueur d’espoir que les Etats-Unis rompent enfin avec leur politique passée de soutien aux régimes autoritaires et d’alliance « inconditionnelle » avec Israël, résiste sûrement au fond des esprits et des cœurs.
D’autant qu’Obama aborde le sujet israélo-palestinien d’une façon aussi nouvelle que subtile et en même temps subversive, en l’associant assez clairement à une lutte pour la « dignité humaine » comme le fut le combat pour les droits civiques des Noirs américains. Ce combat est aussi celui des Arabes qui renversent les régimes oppresseurs, et Obama le métis ne saurait mieux s’y identifier. Cette dimension passe souvent inaperçue, elle est pourtant la marque d’Obama, celle qu’il laissera dans l’histoire de la présidence américaine et du conflit du Proche-Orient., et elle réapparait dans le discours du 19 mai : « Je ne serais pas devant vous aujourd’hui si les générations passées n’avaient pas démontré la force morale de la non-violence pour renforcer notre union – organisant, marchant and manifestant pacifiquement… »
Enfin, le discours du 19 mai a reconnu une force en action dans le monde actuel, l’auto-détermination des peuples, qui est cœur de mon nouvel ouvrage, Le monde d’Obama. Ce que j’appelle l’émancipation, et que je décris comme le fait marquant du monde où Obama préside aux destinées de la première puissance du monde, Obama lui-même y fait référence dans son discours en parlant d’auto-détermination. Les deux termes se valent, ils désignent un phénomène avec lequel Obama est instinctivement en intelligence, celui où les peuples s’affirment dans l’histoire après l’âge des Etats et des idéologies. C’est du Moyen-Orient que le signal est parti en janvier 2011, mais il était décelable auparavant. Le monde d’Obama explique notamment pourquoi la Chine et son parti unique n’y échappent pas.
2 mai 2011
Ben Laden : « Justice est faite »
Dans son adresse surprise hier soir à minuit, moment historique qui ne clôt pas mais sanctionne la longue lutte contre le terrorisme entamée au lendemain des attaques du 11 septembre 2011, et tandis que se formait une foule à l’extérieur de la Maison-Blanche (tout près se trouve l’université George Washington), le président américain annonçait la mort d’Oussama ben Laden au Pakistan après une attaques des forces américaines ordonnée par lui le jour même.
« Justice est faite » déclara le président, après avoir rappelé les origines de la lutte contre le terrorisme et, plus précisément, contre le réseau al-Qaïda. Le président rappela que celle-ci n’était pas une lutte contre l’islam, ainsi qu’il l’avait très clairement exprimé à son arrivée au pouvoir. Comme l’avait aussi précisé, peu après le 11/9, rappela Obama, son prédécesseur George W. Bush... Ben Laden n’est pas un chef musulman mais un meurtrier de masse de musulmans, précisa-t-il encore.
Obama a aussi voulu rappeler le sentiment d’unité qui s’était exprimé après le 11/9, suggérant que ce sentiment reprenne vigueur tandis que l’Amérique vient de venger ses morts, et d’oxyder l’architecte en chef d’attaques qui marqueront pour longtemps sa mémoire.
Fidèle à son approche du leadership américain, dans son discours il a mentionné que les Etats-Unis défendaient leurs valeurs à l’étranger non en raison de leur puissance mais à cause de ce qu’ils sont, en d’autres termes de l’idée américaine.
Dans l’esprit de la campagne de 2008, de sa présidence et de son exercice du magistère présidentiel, Obama s’est ainsi placé dans la continuité, mentionnant G. W. Bush dans son intervention, et l’unité nationale, dont certains signes ne manqueront pas de se manifester dans les heures qui viennent. Cette unité qu’il tentera de faire revivre en 2012 et que la nouvelle du jour l’aidera sans doute à conforter.
Si les emplois rebondissent, après cet épisode majeur et symbolique de la lutte antiterroriste depuis dix ans, l’Amérique d’Obama résorbera ses blessures et tournera une page de son histoire.
27 avr. 2011
Sécurité sociale: paradoxe franco-américain
La contestation semble enfler dans l'opinion américaine, contre l'inflexibilité républicaine en matière de déficit.
Champions des coupes, les républicains emmenés par le jeune président de la Commission des finances de la Chambre, Paul Ryan, commenceraient ces jours-ci à sentir le retour de flamme provoqué par leur opposition frontale au président Obama en insistant sur des réductions drastiques affectant notamment les programmes sociaux. Or les Américains montrent la même contradiction que les Français. A une différence, elle est inversée.
Les Américains contestent violemment contre l'interventionnisme taxé de socialisme, dénonçant le déficit qui menace la compétitivité du pays et des démocrates traditionnellement accusés de laxisme budgétaire, alors que les Français, eux, manifestent contre les réformes. Mais les Américains se braquent si l'on touche à la sécurité sociale! Tandis que les Français qui descendent dans la rue savent bien au fond que le pays ne peut vivre au-dessus de ses moyens, et acceptent la remise en ordre financière de l'Etat-providence. Les Américains sont très nombreux à partager ce sentiment. Les logiques à l'oeuvre ne sont certes pas les mêmes mais au final, paradoxalement, la situation est moins différente que l'on ne pense souvent.
Pour 2012, l'attachement des Américains à leur sécurité sociale ne dit pas que les démocrates bénéficieront du phénomène. Celui-ci, on vient de le voir, est indissociable de son contraire, et surtout les immenses difficultés des politiques à s'entendre à Washington autour d'un budget maintiennent assez bas dans l'estime publique le pouvoir comme l'opposition républicaine.
Il est à parier néanmoins que la pédagogie d'Obama sur les enjeux de long terme finira par payer - surtout si la courbe du chômage diminue...