| Articles en français | Posts in English | Abonnement | Liens |


9 févr. 2009

Un ministre de la Culture pour Obama?

Comme un lointain écho des débuts de la présidence Kennedy, le débat a surgi aux Etats-Unis sur la création d'un poste fédéral à la Culture. Chose curieuse dans un pays où les arts - et les universités - sont financés et promus en grande partie par le mécénat privé, et où celui-ci est souvent l'aboutissement de la réussite.


Le débat a suscité beaucoup de commentaires. Outre le jazzman Quincy Jones, qui réclame la création d'une responsabilité politique pour les arts, d'aucuns, comme l'ancien directeur du National Endowment for the Arts, William Ferris, rappellent dans le New York Times que les efforts de l'administration Roosevelt en faveur des campagnes durant la crise avaient comporté un volet culturel important avec des reportages photographiques restés un témoignage unique de la vie dans l'Amérique rurale de l'époque, et s'inquiètent du manque de représentation de cette Amérique-là dans les institutions culturelles américaines (sur l'Amérique rurale, voir Politique Américaine n°6). D'autres se préoccupent du sort des écrivains, journalistes et autres rédacteurs qu'un nouveau programme inspiré du Federal Writers Project de 1935, qui produisit une série de Guides sur les villes et régions américaines, pourrait remettre en selle en servant une cause d'intérêt général, celle du patrimoine américain et de la culture populaire. D'autres encore avancent l'idée que l'Etat peut encourager la création artistique et l'innovation qui serviront demain à des entreprises plus commerciales, sans se préoccuper du rendement immédiat. Ferris soulève aussi un point important qui est celui de la coordination des institutions fédérales existantes.


Les réticences à tout contrôle, le peu d'intérêt pour la question dans une période de crise qui impose d'autres priorités à l'agenda présidentiel, et plus encore à celui du Congrès, enfin les critiques contre toute bureaucratisation ou étatisation, ne devraient cependant pas laisser beaucoup d'espoir aux promoteurs de cette idée. Du reste, la sphère publique aux Etats-Unis est loin d’être inactive en matière culturelle, ainsi que l’avait magistralement exposé Frédéric Martel dans De la culture en Amérique.

La création d'une telle fonction aurait pourtant une portée symbolique très forte, tant au plan intérieur qu’international.

Promouvoir les arts par exemple dans la formation scolaire aux Etats-Unis serait le gage d'une volonté de changement dans la société américaine, tant les humanités et la culture générale font défaut dans le niveau général des connaissances des Américains. Dans The End of the American Era, l’universitaire Charles Kupchan, ancien membre du Conseil de Sécurité nationale sous Clinton, se plaignait du manque de perspective historique caractéristique des élites qui peuplent l’appareil de sécurité, faisant un contraste avec des responsables comme George Kennan, le grand stratège des années 1946-47, et sa connaissance intime de la culture et de l’histoire russes.

L'idée est aussi de renouer avec les grandes réformes démocrates, le New Deal bien sûr, mais aussi la présidence Johnson qui créa le National Endowment for the Arts et le National Endowment for the Humanities, par un geste qui renforcerait l'étape historique que constitue déjà la présidence Obama.

On peut dire surtout que se préoccuper de culture serait la prolongation du style calme et cérébral du nouveau président, un homme de réflexion et de diversité sachant faire une synthèse dépassionnée de ce qui compose le caractère américain. Son prédécesseur était un homme de certitude et d'impulsion plus que de livre, la rupture serait ainsi d'autant plus marquée.

La création d’un poste fédéral marquerait aussi la volonté de promouvoir une relation au monde qui serait instruite, et non idéologique et ignorante des réalités étrangères comme cela a été le cas pendant huit ans, alimentant une confrontation morale et physique avec le monde arabo-musulman. A défaut de ministère, un discours du Président Obama qui intégrerait les arts et la culture dans sa représentation du monde et des rapports extérieurs des Etats-Unis, serait une façon pour l'Amérique de montrer au monde un autre visage, et de lutter sur le terrain des idées. Cette approche fut d'ailleurs celle de Kennedy au moment de la lutte antisoviétique. Arthur Schlesinger, auteur du Centre vital en 1949, qui soulignait le besoin pour le centre gauche de combattre le communisme, fut l'artisan de cette orientation qui consistait à contrer l'URSS dans le domaine culturel qu'elle savait si bien exploiter depuis les années 1930 pour le rayonnement du régime.

Un parallèle évident peut être établi avec la lutte antiterroriste. Les néoconservateurs de George W. Bush ont prétendu lutter contre l'islamisme en promouvant les valeurs démocratiques au Moyen-Orient, ce qui est passé par l'invasion de l'Irak. L'approche sémantique d'Obama, qui requalifie la guerre globale contre la terreur en parlant de lutte antiterroriste contre al-Qaida et privilégie l'outil du renseignement sur celui des armes lourdes, redirige le poids des mots vers un positionnement plus fin. Le premier entretien accordé à un média arabe par Obama illustre la prise en compte des différences de perception et de référents entre les sociétés. Souligner le rôle de la culture et de la connaissance des autres serait un contrepoint puissant après l’inflexibilité idéologique de l’après-11/9.

Le débat autour d’un secrétariat à la Culture, resté circonscrit, gagnerait à être approfondi, pour replacer les enjeux culturels dans une perspective plus large. A l’heure de la réinvention d’un contrat social américain mis à mal par la déstabilisation du capitalisme américain et de la classe moyenne, prise entre mondialisation et innovation technologique, et de celle du leadership global de l’Amérique ruiné par l’occupation de l’Irak, élever les arts et la culture au rang des préoccupations du nouveau pouvoir serait un pas peu conventionnel dans l’histoire américaine. La diffusion de la culture générale aux Etats-Unis et la relance d’une diplomatie culturelle ambitieuse pourrait être un accomplissement de taille de la présidence Obama.

blog comments powered by Disqus
Déjà articles à ce jour sur ce blog.



Haut de la page