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23 janv. 2009

Obama ou la continuité américaine

Que l’Amérique se retrouve et qu’elle projette dans le monde ses valeurs sans ignorer les réalités extérieures, telle est la mission du nouveau président. Au fond, la négritude de Barack Obama a peu d’importance ; tout change est tout reste pareil. Il s’agit de l’Amérique, de sa capacité à demeurer le centre névralgique de l’économie mondiale et à guider la politique internationale.

La vraie rupture, la sortie de route, ce fut « W » avec l’invasion irraisonnée de l’Irak et la polarisation de la société américaine autour des mœurs. Obama sera l’homme du recadrage, dans la tradition qui a dominé la politique américaine de Roosevelt à Reagan. Reagan ne fut-il d’ailleurs pas d’abord un démocrate du New Deal avant d’adhérer au parti républicain ? Et Obama n’est-il pas, comme Roosevelt et Reagan, placé devant des défis économiques et stratégiques considérables ? Une fois de plus, l’Amérique doit réinventer son contrat social et son rôle mondial.

En homme de synthèse qui toute sa vie fut en quête de son identité, cherchant à concilier négritude et américanité, Obama cherchera à répondre aux défis du monde, dont il saisit sans peine toute la complexité, dans le respect des principes américains ; voilà deux différences majeures avec l’administration sortante. Qu’en sera-t-il donc de l’Amérique et du monde ?



Les accents reaganiens du discours d’Obama, c’est la confiance que les Américains doivent retrouver en eux-mêmes, et la promotion des valeurs de liberté qu’ils doivent inspirer et non imposer, par une approche pragmatique et réaliste de la politique internationale. Ce réalisme se trouve dans le diagnostic : Obama a très tôt perçu que le vrai danger, ce n’était ni l’Irak ni l’Iran, mais l’Afghanistan et le Pakistan. C’est là que se loge le venin de la politique internationale. Là aussi que le cataclysme tant redouté du nucléaire peut survenir : une guerre indo-pakistanaise beaucoup moins improbable que l’on pense. Au Pakistan, les Etats-Unis sont pris dans des contradictions inextricables ; comment favoriser la démocratie dans un pays où l’armée, colonne vertébrale du pouvoir et allié des Américains, nourrit en même temps l’islamisme et soutient les talibans afghans ? Comment aussi soutenir l’Inde sans affaiblir l’alliance avec les militaires pakistanais de façon irréversible et incalculable ? Comme le dit astucieusement l’Indien de l’ONU, Sashi Tharoor, en Inde l’Etat a une armée, au Pakistan l’armée a un Etat. Le rapprochement nucléaire américano-indien légué par Bush est une grande ouverture stratégique, mais elle complique l’équilibre régional et affaiblit le régime de non-prolifération.

Pour espérer résoudre ces difficultés, Obama doit renouer avec le réalisme reaganien sur deux fronts : rétablir immédiatement une relation fonctionnelle avec la Russie et instaurer un dialogue avec l’Iran, que les erreurs bushiennes ont placé en position clé dans la région. Les Etats-Unis et l’Iran partagent au moins un intérêt majeur : éradiquer le nihilisme sunnite à la al-Qaïda. Il faudra cependant attendre l’élection présidentielle iranienne en juin pour pouvoir bouger sérieusement sur ce front. La Russie passe donc en premier, et ici les Européens sont concernés directement : un dialogue euro-américain sur la Russie permettrait de se coordonner et d’envisager un grand accord sur la sécurité énergétique européenne, la sécurité russe et l’avenir de l’OTAN, bêtement élargie depuis la chute de l’URSS au lieu de faire place à un nouveau schéma d’ensemble. Mais ce que voudra Obama, en toute logique, c’est un appui en Afghanistan que les opinions européennes ne sont pas prêtes à consentir, ce qui promet des tensions…

Un deuxième front est l’Asie-Pacifique, où l’Europe est absente. L’échec patent de l’administration Bush face aux imprévisibles Nord-Coréens a irrité le Japon et la Corée du Sud, et renforcé le poids diplomatique de la Chine. Une relation triangulaire stable et constructive sino-nippo-américaine est un défi considérable de la nouvelle administration pour maintenir la tumeur nord-coréenne sous contrôle, et accompagner ce qui sera la grande continuation de Bush à Obama, le Dialogue économique stratégique (SED) instauré par Henry Paulson. Le « grand ajustement » économique qui caractérise la mondialisation fait du face-à-face sino-américain la priorité des priorités de la politique économique extérieure. Le réalisme consistera ici à renforcer le dialogue avec une Chine à la fois rivale, concurrente et partenaire.

Le retour de la diplomatie et de l’art du possible, fortifiés par une dissuasion militaire efficace (l’Amérique d’Obama n’hésitera pas plus que celle de Bill Clinton à recourir unilatéralement à la force) sont donc déjà le sceau de la présidence Obama, dont l’action intérieure et extérieure sera facilitée par une disposition au consensus bipartisan (John McCain pourrait être un allié précieux). Le maintien à la Défense du reaganien Robert Gates, numéro deux de la CIA à l’époque de la lutte antisoviétique en Afghanistan au nom de la liberté, et grand correcteur du tir bushien, est un hommage à la continuité américaine dans le centre rationnel. Car il y a aussi les valeurs, et notamment le désarmement nucléaire que soutenait Reagan – Obama était ici pleinement en phase avec McCain, dont les héros s’appellent Reagan et Theodore Roosevelt, le républicain dont le Square Deal fut le devancier du New Deal de Franklin. Continuité et synthèse dans la fidélité aux grands principes qui ont dominé la politique américaine de Roosevelt à Reagan, tel est l’esprit de la présidence qui s’ouvre. Le premier président noir, se voulant un héritier digne des Pères fondateurs, pourrait en effet être celui par lequel l’Amérique retrouvera intelligemment le chemin de la raison.

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