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29 août 2009

Kennedy s’en va, l’Amérique reste

Au milieu de la campagne pour la réforme du système de santé - réforme du président plus que du parti démocrate et de la majorité – le héraut de la gauche politique américaine quitte la scène. Il y a dans cette disparition une triste ironie et un paradoxe.

La santé est un sujet clé pour l’amélioration des conditions de vie des Américains les plus modestes, dont Ted Kennedy s’était fait le chantre. Plus de 40 millions d’Américains sont sans couverture et ont recours aux urgences, mode coûteux et médicalement inefficace. L’envers du décor de la prospérité américaine n’est pas beau à voir. Héritier de la nouvelle frontière des administrations démocrates des années 60 et du mythe Kennedy, Ted est devenu l’incarnation d’une gauche préoccupée par la justice sociale. C’est une triste ironie du sort qu’il disparaisse au moment où le premier président noir américain s’attaque, comme les Clinton avant lui, à la réforme de la protection sociale.

Obama a fait naître un espoir considérable non seulement à cause de Bush-Cheney et de la division politique que leur règne aura exacerbée dans la société américaine, mais aussi parce que son discours aura fait sentir une conscience claire de la nécessité de ressouder le lien social aux Etats-Unis, c’est-à-dire d’agir dans un esprit bipartisan d’ouverture d’une part, et de pallier aux énormes insuffisances du système pour les moins nantis. Avec Obama les Américains allaient se retrouver, et le beau discours de concession de McCain allait aussi dans ce sens de l’unité américaine. Il était normal qu’un Kennedy supportât Obama dans cette grande œuvre qui pourrait en effet, si elle aboutissait, être comparée aux avancées du New Deal rooseveltien (création de la Sécurité sociale en 1935) et de la législation Johnson (extension de la loi de 1935 par Medicare et Medicaid, l’aide aux chômeurs et aux personnes âgées).

Et pourtant, pour tout le tralala autour de la mort de Ted Kennedy on constate que celui qui pouvait tout aussi légitimement incarner la gauche caviar (« limousine liberals »), le changement est difficile. Non que les Américains aient perdu leur capacité de réinvention – l’élection d’Obama en est une historique illustration. Mais de même qu’il existe aux Etats-Unis une « culture de l’entitlement » (une culture des versements sociaux) largement ignorée en Europe, il existe aussi, comme en France, une résistance au changement. Le patricien richissime de Boston et Cape Cod, confortable sénateur à vie ainsi que son alter ego John Kerry, passe. Et son héritage aura vite fait de disparaître aussi. Ted Kennedy sera certes devenu un sénateur modèle, travailleur et connaisseur de dossiers. Il se sera ainsi installé comme un pilier du groupe démocrate à la chambre haute - d’aucuns y voient une forme de rédemption après l’accident de Chappaquiddick qui interdît toute ambition présidentielle au troisième frère Kennedy. Mais Ted aura existé par la légende. Successeur de John au Sénat, il aura incarné le mythe Kennedy renforcé après la mort de Robert en 1968.

Le mythe Kennedy qui gonfle le souvenir d’une présidence et d’un personnage qui ne le méritent pas – on oublie facilement que le désastre du Vietnam aura été l’œuvre du glamoureux JFK – aura enflé aussi la stature de Ted, dont l’influence sur la vie politique américaine aura été limitée. Pour être une figure du « libéralisme » américain (la gauche), s’opposant à la nomination par Reagan de Robert Bork à la Cour suprême en des termes politiques durs que la présidente démocrate de la Chambre Nancy Pelosi qualifierait sans doute d'"in-américains", Ted aura fait preuve de l’esprit bipartisan qui sied au Sénat, soutenant avec le républicain franc-tireur McCain un projet de loi « progressiste » sur la régularisation des clandestins défendu par le président Bush, dont il soutiendra aussi le projet No Child Left Behind sur l’éducation. Mais il paraît être davantage l’incarnation d’un mythe assez creux auquel Marc Dugain a à sa façon rendu justice dans « La malédiction d’Edgar ».

Si le départ de Ted doit sonner la fin du mythe dans la vie politique américaine, cela semble être une bonne chose. Une famille ou plutôt une fortune au service d’ambitions dont certains ressorts auront été sincères, Ted le premier malgré le côté grande fortune, mais qui n’aura pas produit de présidents tels que le parti républicain en aura donné à l’Amérique. Le sévère jugement de l’histoire privilégie encore JFK sur son rival complexé Nixon, pourtant c’est ce dernier, détrôné dans l’opprobre et le ridicule, qui fut un grand président.

Le paradoxe enfin est que la disparition de Ted Kennedy, qui ne laisse qu’un mince sillon dans l’eau, fait écho au décalage entre la vie réelle et la fiction, là encore. Ainsi que l’écrivait hier Michael Kinsley dans le Washington Post, les Américains sont en contradiction avec eux-mêmes, exprimant leur colère et fulminant contre la politique et le Congrès, mais soutenant leur élus et réticents aux réformes telles que celles que leur propose Obama, qu’ils ont eux-mêmes porté à la présidence, pour certains dans un délire aussi intense que passager. Car l’excitation retombée, Obama qui passe ses vacances à Martha’s Vineyard, non loin de la maison familiale des Kennedy à Hyannis, imitant sottement les Clinton, n’est plus si providentiel. Même chose pour Ted ; beaucoup de théâtre autour du grand sénateur, mais la réalité est à l’acrimonie politique persistante et au rejet de réformes que les trois Kennedy auraient résolument défendues. De la fiction à la réalité, c’est la permanence des luttes politiques et l’inconstance de l’opinion, creuse comme le « mythe Kennedy », dont la disparition de Ted vient peut-être, enfin, tourner la page.

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