Notre amie Susan Eisenhower nous livre une réflexion sur son pays, sur le sens perdu de la sécurité, de la chance et du bonheur d'être Américain - le genre de réflexion sur soi que nous pourrions nous aussi avoir.
Politique Américaine reproduit cet article dans sa prochaine édition à paraître en novembre (N°11). La version originale est disponible sur le site de Susan:
http://www.susaneisenhower.com/
L’Amérique minée de l’intérieur
Susan Eisenhower
A Gettysburg en ce mois de septembre, les collines vallonnées et les cerisiers de Pennsylvanie étaient particulièrement luxuriants cette année. Installés en bord de route, les stands des récoltants regorgeaient des cueillettes les plus succulentes de la fin d’été. L’air lourd, immobile, et le stridulement des cigales, parfois mêlé au bourdonnement des abeilles, donnaient une impression de tranquillité infinie où le temps dure longtemps. La nuit tombée, un coup d’air frais annonçait que la saison prochaine n’était plus très loin.
Au milieu des fermes de pierre proprement entretenues et des vastes champs de soja et de maïs, il fallait se pincer pour se souvenir que la bataille de Gettysburg avait été l’une des plus sanglantes et des plus décisives de la Guerre civile [la guerre de Sécession]. Ce fut le tournant d’un conflit qui avait divisé la nation en deux. Lee, Meade et Pickett ont laissé leur empreinte sur cette terre. Et à peine moins de cent ans plus tard, Eisenhower choisit de s’y établir et reçut sur sa ferme bien des visiteurs, Khrouchtchev, de Gaulle, Nehru et Montgomery.
C’est là que j’ai grandi. C’est là que je vais pour réfléchir.
Il n’est pas bien facile ces temps-ci de se plonger au plus profond de soi. Attachés aux portables et autres blackberries, on saute d’une sollicitation à une autre sans avoir le temps de réfléchir, livrés à des impulsions qui sont le contraire d’une analyse de long terme. Cette ère de la gratification immédiate, de même que le cycle des nouvelles 24h/24 et des résultats trimestriels des entreprises, nous a amenés à foncer tête baissée sans regarder l’horizon. Nous sommes devenus une nation de tacticiens, où se trouvent peu de stratèges dignes de ce nom. Les conséquences de cette situation se résument dans cet adage : « Si tu ne sais pas où tu vas, toutes les routes t’y mèneront ».Etant donné notre ignorance historique – et notre refus de regarder devant nous – nous risquons de devenir une nation sans but et sans direction sur une route de dangers, tels Hansel et Gretel des frères Grimm.
Bien que Gettysburg ait conservé ses apparences depuis l’époque que mes grands-parents sont venus dans ce hameau en 1917, et à nouveau dans les années 1950, les comportements ont beaucoup changé, tout comme dans le reste du pays. L’optimisme des Américains a cédé à une sorte de malaise et d’inquiétude par rapport à l’avenir. Ils perdent leurs maisons par dizaines de milliers et un assèchement du crédit menace l’économie dans son ensemble. Le chômage augmente et ceux qui ont un emploi ne peuvent parfois pas payer le déplacement. Comme si ce n’était pas assez, notre système de santé laisse la plupart des Américains à un accident ou à une maladie de la catastrophe financière. Notre mode de vie paraît miné de l’intérieur.
Ajoutons à cela les inextricables problèmes à l’étranger, y compris la nouvelle et dangereuse situation du Caucase. La provocation de la Géorgie sur une région en litige, and la brutale réponse russe, auraient pu être évitées si l’administration Bush et des personnalités comme le sénateur McCain, proches du président géorgien, avaient géré ce problème avant qu’il n’éclate en crise.
Au final, les Géorgiens ont perdu leur armée et se retrouvent dans une position intenable. Les Russes ont perdu considérablement en prestige à travers le monde en raison de leur sur-réaction. Et les Etats-Unis ont souffert un sérieux recul. Il était connu depuis le départ que n’avions pas d’option militaire viable, et les événements ont péniblement montré que les Etats-Unis ne pouvaient rien faire qui puisse protéger l’ancienne république soviétique de Géorgie. Cette débâcle nous a coûté la possibilité de coopérer avec la Russie sur des sujets touchant directement notre sécurité : énergie, Iran, terrorisme, sûreté des matières nucléaires. Bien que la confrontation se soit vers la fin apaisée, il faut bien reconnaître qu’elle aurait pu empirer dangereusement. Les Etats-Unis et la Russie restent à un cheveu d’une alerte, avec quelques minutes seulement pour décider du lancement d’une attaque nucléaire. A plus longue échéance, la perspective de démettre du stade de l’alerte ces armements mortels, et ainsi de réduire la possibilité d’un accident cataclysmique, est proche de zéro à cause de ces événements.
Sur le front intérieur, la campagne électorale a touché le fond. La dérision et le trivial ont envahi toute discussion. L’émergence de la colistière républicaine, Sarah Palin, a vu les médias jouir d’une audience record, mais pas une seule fois ils n’ont apporté des éléments sérieux sur la candidate, sinon les aspects personnels, reine des concours de beauté, vie de famille, et quelques actes assez maigres comme décideur public. Dans une large mesure, ils se sont prêtés eux-mêmes aux accusations de sexisme de la campagne de McCain.
Quelques semaines plus tard, enfin les médias sérieux se sont penchés sur l’affaire, commentant l’inaccessibilité sans précédent de la candidate et demandant que l’on connaisse mieux les vues de celle qui ne serait qu’à « un battement de cœur de la présidence ». Ses premiers pas avec Charlie Gibson sur le 11 septembre révélèrent un manque inquiétant de familiarité avec les éléments les plus essentiels de la politique étrangère. Si Palin comprenait l’obligation de défendre une Ukraine (ou une Géorgie) dans l’OTAN en cas d’agression, son enthousiasme à se lancer dans l’aventure, y compris une entrée en guerre avec la Russie, mit au jour une faible reconnaissance des capacités nucléaires russes. La Russie est le seul pays sur la terre capable de nous rayer de la carte - et d’emporter avec nous une bonne partie de la planète.
Il n’est pas surprenant que l’équipe de campagne de McCain ait choisi de maintenir le gouverneur Palin sous cloche et de la laisser aux côtés du sénateur jusqu’au jour J. L’usage de Palin comme symbole est aussi détestable que les pratiques agressives employées à l’encontre de Barack Obama. En dépit de l’engagement de John McCain à élever le débat, celui-ci a approuvé des messages publicitaires souillant Obama et ternissant son pedigree – agissements qui en appellent aux stéréotypes américains les plus regrettables. La cible est l’un de ses atouts les plus impérieux – sa trajectoire individuelle. Les suggestions selon lesquelles « il n’est pas vraiment des nôtres » auront été constantes. Cela me rappelle cette terrible expression employée par les snobs WASP se murmurant à l’oreille lorsqu’ils rencontraient une personne de statut social ou de race inférieur : « Pas des nôtres, très cher ».
Ceci est tout à fait faux. Barack Obama est non seulement un des nôtres, il est nous. En un sens, il est l’incarnation de la nation, ce melting pot multiracial et multiethnique. Toute tentative de stigmatiser Obama comme « exotique », un peu trop « élitiste » ou « étranger » revient à démentir ou nier l’essence de la promesse et de l’idée américaines.
Le but de la tactique est évident : il s’agit de détourner l’attention des Américains des problèmes en cause en faveur des personnes. On ne peut se permettre un tel luxe aujourd’hui.
En dépit de mes espoirs, l’élection est devenue un cirque et ceux sur qui nous comptons nous ont laissés tomber. Certains démocrates peuvent être frustrés du calme, de l’aisance et de l’approche analytique des récents événements empruntée par Barack Obama. Mais ceux d’entre nous qui avaient au départ soutenu John McCain ont trouvé préoccupant qu’il ait fait la preuve de sa nature impulsive devant les deux problèmes majeurs survenus à l’automne. Le premier cas fut son rôle impétueux dans la crise caucasienne, à laquelle il réagit comme s’il était déjà président. Le second fut son choix à la va-vite d’une colistière sans expérience nationale ou internationale. S’il était l’électron libre qu’il prétend être, il aurait pu choisir un modéré expérimenté. Avec Palin, McCain a montré où il voulait emmener le parti républicain – vers la droite dure. Etant donné son âge et son passé médical, son choix révèle aussi sa désinvolture quant à sa succession.
Près du lieu où j’écris ces lignes, je jouais avec mes frères et sœurs à colin-maillard et nous attrapions des mouches avec de la confiture, avant que l’obscurité ne s’intensifie et que les adultes ne nous appellent à l’intérieur. Le chant des criquets rythmait le calme du soir et l’on ressentait toujours une sereine fatigue lorsque nous rentrions. Nous nous sentions en sécurité, heureux et très chanceux d’être américains.
Je garde un vif souvenir de ce sentiment de sécurité, malgré la Guerre froide qui faisait rage. Nous sentions que le pays était en de bonnes mains et que ceux qui étaient au pouvoir pensaient à nous, à notre avenir. De telles souvenances font un brutal contraste avec le chacun pour soi indigne et lamentable des élections de nos jours.
Je me demande si nous prendrons le temps, Américains pressés que nous sommes, de réfléchir à où va l’Amérique et quelles valeurs nous voulons transmettre. Nos pensées et nos choix seront-ils au crédit de nos enfants et petits-enfants ? Serons-nous capables dans les années qui viennent de leur transmettre ce sens de sécurité et de confort qui était le nôtre, enfants ? L’avenir que nous leur préparons leur permettra-t-il de prospérer dans un marché toujours plus compétitif ? Nous leur léguerons-nous un pays qui récompense l’excellence et la performance, qui est un exemple de tolérance et de respect de l’autre, ou échouerons-nous en privilégiant la facilité au sacrifice et à la diligence qu’exigent les défis de l’heure ?
En parcourant les alentours, près de la ferme de mes grands-parents, il m’apparaît que notre pays a un urgent besoin de destin national et d’une stratégie d’avenir.
« L’Amérique d’abord » devrait être un acte de courage et de volonté – pas un slogan de campagne.
23 oct. 2008
Où va l'Amérique?
Mots-clés :
Barack Obama,
Eisenhower,
élections présidentielles USA,
John McCain
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