En choisissant Sarah Palin, John McCain semble laisser reparaître sa vraie nature, celle de l'affranchi, de l'électron libre, qui surprend et prend des risques (notamment car une procédure judiciaire à l'encontre de Palin est en cours pour abus de pouvoir). Par ce choix, McCain évince aussi d'un coup l'image de la vieille baderne que l'on pourrait associer à sa chevelure de senior.
Le nom de Palin était dans l'air, mais elle n'était clairement pas en tête de liste. McCain a eu l'avantage de laisser Obama dévoiler le nom de son colistier avant de se prononcer. Le choix est donc d'autant plus réfléchi. On attendait Mitt Romney, candidat malheureux aux primaires mais qui fit néanmoins une campagne très honorable, ou Tom Ridge, l'ancien gouverneur de Pennsylvanie et ancien secrétaire à la Sécurité intérieure (Homeland Security).
J'avais écrit que McCain cherchait Obama et Obama cherchait McCain. Avec Biden, Obama a trouvé son McCain, mais en choisissant Palin, McCain s'offre un peu son Hillary...
En apparence, le parallèle tourne cependant court car Palin est un gage à l'aile franchement conservatrice du parti alors que Clinton s'est forgé une conscience politique dans les années de la Contestation et vient de la gauche. De plus, l'Alaskienne n'a pas l'expérience de la sénatrice de New York.
En apparence seulement car beaucoup de femmes pourront s'identifier, se reconnaître dans Palin. Mère de famille, faisant face, réussissant dans un monde d'hommes, en particulier dans la vie politique corrompue de l'Alaska, bref une battante, belle et sportive, qui, contrairement à Hillary, porte avec sincérité les valeurs familiales. Cela ne suffira peut-être pas à rallier les électrices démocrates déçues par l'échec de leur héroïne, mais cela pourra sûrement gagner les anciens "Reagan Democrats", c'est-à-dire les démocrates qui votèrent pour Reagan en 1980.
Palin est ce que l'on appelle une "soccer mom", une maman qui accompagne ses fils au football américain - l'expression raisonne très bien dans les foyers (à cette nuance qu'étant alaskienne elle est une "hockey mom" - chacun son sport régional de prédilection).
Anti-avortement, membre de la puissante association des porteurs d'armes longtemps présidée par Charlton Heston, Palin incarne l'Amérique traditionnelle qui ignore la frontière partisane entre républicains et démocrates.
Palin est sûrement plus représentative en tout cas que Nancy Pelosi, la présidente de la Chambre des représentants, venue de San Francisco, probablement la seule femme élégante du Congrès qui, pour être donc "libérale", est l'épouse d'un homme très fortuné alors que Palin est celle d'un travailleur syndiqué...
On pourra certes lui faire le procès de l'inexpérience. Elle est, comme le dit la chanson de Bowie, une "absolute beginner".
Mais attention à l'effet boomerang - Obama a le même âge qu'elle et relativement peu d'expérience politique non plus. En outre, comme gouverneur, Palin dirige effectivement un Etat, tandis qu'un sénateur fait surtout des discours. Tout en étant résolument conservatrice, Palin a plutôt dirigé l'Alaska contre son parti et en sachant s'entendre avec l'opposition démocrate, ce qui tempère quelque peu l'image extrême que l'on pourrait lui associer.
Elle s'est aussi, comme McCain, levée contre les pratiques corrompues de l'État, y compris la gabegie financière qui voit les parlementaires allouer des fonds à des projets d'intérêt strictement local et contestable, comme le "pont vers nulle part" devenu un symbole de l'incurie d'un Congrès qui rivalise d'impopularité avec le président Bush.
Le choix de Palin est donc surtout un message intérieur, et c'est bien le rôle du colistier que d'apporter un équilibre géographique et électoral. McCain, le "maverick" en mal de légitimité républicaine, a choisi un candidat qui rassure une vaste base conservatrice, des plus militants aux plus ouverts, et c'est une femme.
Un éditorial du Washington Post soulignait à raison que John McCain aurait dû se demander si Sarah Palin était capable de le suppléer en cas d'accident plutôt que de l'aider à remporter l'élection. Palin présidente, cela donne sérieusement à réfléchir.
Pourtant, que penser par exemple de Dan Quayle, qui fut vice-président de G. H. W. Bush entre 1988 et 1992 (sans parler de Bill Clinton ou George W. Bush, qui n'étaient pas des monstres politiques avant d'accéder à la Maison-Blanche)? L'argument n'est pas déplacé, mais c'est bien gagner l'élection qui compte.
En Europe, l'ascension de Sarah Palin soulèverait plutôt de franches réserves. Mais on est en Amérique, et c'est pourquoi le choix de McCain paraît, au total, judicieux.
Le fils aîné de Palin porte l'uniforme en Irak, ce qui coupe court à bien des critiques, car d'accord ou pas avec cette guerre, on ne peut que rendre hommage.
Je pense donc qu'avec Palin McCain a pris une sérieuse option sur la victoire - indépendamment de ce qui peut arriver d'ici là, notamment un débat face à Joe Biden où elle échouerait lamentablement (mais là encore, on vote pour le président, pas pour le colistier).
Les démocrates diront le contraire, mais ce ticket quelque peu insolite me paraît ressembler à l'Amérique qui votera, en secret et en conscience, le 4 novembre, plus que la paire démocrate, aussi séduisante soit-elle, convenons-en.
31 août 2008
McCain-Palin : à l'image de l'Amérique de toujours
Mots-clés :
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