Le 2 juin, John McCain s'est adressé à l'American Israel Public Affairs Committee(AIPAC), le puissant groupe de pression pro-israélien, pour évoquer sa politique vis-à-vis d'Israël et dans la région. Il était en compagnie de Joseph Lieberman, l'ancien démocrate très religieux, partisan du remodelage du Moyen-Orient, désormais inscrit au Sénat comme indépendant.
Le plus surprenant n’est pas le discours lui-même, qui plaira aux membres de l’AIPAC et qui est un discours électoral très complaisant. L’on sait bien comme la vision des Etats-Unis au Proche et au Moyen-Orient a depuis longtemps, et notamment depuis l’accession au pouvoir de George W. Bush, été conditionnée par l’alliance avec Israël et encouragée par les évangéliques .
« Le président est fasciné », « Sharon l’a mis dans sa poche », pouvait-on lire dans le Financial Times en octobre 2004. Celui qui parlait ainsi du président des Etats-Unis était le général Brent Scowcroft, ancien bras droit de Henry Kissinger au Conseil de sécurité nationale et lui-même ancien conseiller à la Sécurité nationale de… George H. W. Bush ! Scowcroft avait alors l’oreille de la Maison-Blanche, qu’il perdit ensuite. Son intervention dans le FT, intitulée "Leading Republican lambasts Bush" était repise par la presse américaine sous un titre édulcoré : "Scowcroft Is Critical of Bush".
La réalité décrite par Scowcroft il y a quatre ans n’a pas changé.
Le discours du président Bush à la Knesset en mai 2008, pour le soixantième anniversaire de l’Etat hébreu, fut surréaliste. Bush accusa Obama, qui souhaite « parler » à l’Iran, de défaitisme, comparant cette attitude à celle de Chamberlain à Munich, dans l’esprit des raccourcis historiques ahurissants qui ont amené les néoconservateurs à comparer la démocratisation du Moyen-Orient à la reconstruction de l’Allemagne et du Japon après la Seconde Guerre mondiale (voir la vidéo dans mon blog du 19 mai).
McCain se situe hélas dans la même ligne. Son discours est truffé de simplifications du genre « les combattants du Hezbollah ont récemment pris les armes contre leurs concitoyens libanais », qui contredisent les louanges adressées aux Israéliens, ou de charges anti-Hamas simplistes, puisque les Israéliens ne se privent pas - et ils ont raison - d’ignorer les recommandations américaines en négociant avec le Hamas et le Hezbollah via l’Egypte ou la Syrie, et d’évoquer le Golan avec Damas via la Turquie. Bref, l’exact contraire du discours de Bush et McCain, et plutôt une approche pragmatique conforme à celle prônée par Scowcroft, Baker ou Obama…
L’intervention de McCain n’échappe pas non plus aux platitudes grandiloquentes telles que ceci : « Si les critiques de notre alliance ne comprennent pas les liens entre l’Amérique et Israël, c’est peut-être qu’ils ne comprennent pas pleinement notre amour de la liberté et de la justice ». Cela fait sourire quand on observe les distorsions des renseignements et les mensonges qui ont mené à l’invasion de l’Irak, ou la politique israélienne que de plus en plus de voix comparent, comme Jimmy Carter, à un apartheid menaçant, à terme, l’existence d’Israël. Cela fait sourire, mais c’est le genre d’exercice auquel doit se livrer un candidat même sérieux à la présidence des Etats-Unis…
Le résultat est que McCain « soutient fortement l’augmentation de l’aide militaire à Israël qui doit commencer en octobre » et que « l’alliance est pour toujours », au nom d’« idéaux communs » . Cette promesse est inquiétante, car l’on ne peut qu’espérer une rupture avec la politique de Bush, dont McCain se distancie par ailleurs. Le pire pour lui serait en effet que sa candidature soit perçue comme un troisième mandat Bush.
Le discours devant l’AIPAC est donc chargé d’idéologie, fidèle à l’esprit des relations israélo-américaines qui a créé l’amalgame entre lutte nationale palestinienne et « guerre contre la terreur ». La réalité est que les idéaux communs de l’Amérique et d’Israël ont été dévoyés par des politiques bellicistes qui prétendent défendre la justice et la civilisation. Elles sont aussi infatuées de religion, ce qui fait dire à Régis Debray que « les Etats-Unis sont une colonie spirituelle du peuple hébreu ». Comme les néoconservateurs ont trahi l’idée américaine, la politique israélienne depuis Sharon, sinon avant, a trahi l’idéal sioniste.
De fait, les deux pays partagent aussi une réalité militaire : chacun est une superpuissance, l’une mondiale, l’autre régionale, qui se trouve embourbée dans une occupation sans fin, les premiers en Irak, les seconds en Palestine où la lutte d’indépendance nationale se mue en lutte pour les droits civils.
Il est malheureux que celui qui sera selon moi le prochain président ne trouve pas le courage de nuancer au moins un peu l’approche américaine vis-à-vis d’Israël, car sa position écarte toute perspective de paix dans la région dans les années à venir. Nous verrons ce qu’Obama a à proposer…
5 juin 2008
Sharon avait mis Bush "dans sa poche". McCain aussi ?
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