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23 mai 2011

Le sillon d'Obama

Le discours du 19 mai sur le Moyen-Orient était un peu le discours du Caire II. Prenant la suite de cet appel fondateur de juin 2009 qui prétendait refondre la relation américano-arabe, Obama a reformulé le cadre de la politique américaine dans la région devant les événements qui s’y succèdent depuis janvier. Au vrai, il s’est aussi rattrapé après avoir laissé l’impression, à tort ou à raison, d’hésiter à soutenir la rébellion en Egypte et en Libye, tandis que le statu quo qui a prévalu depuis son discours du Caire, et le camouflet israélien au sujet de la colonisation qu’il avait clairement indiqué comme l’obstacle clé à la paix, ont désillusionné l’opinion arabe quant au rôle des Etats-Unis.

Ce discours et ses suites, y compris l’intervention d’Obama ce dimanche devant l’AIPAC, le lobby israélien à Washington, inspirent trois remarques :

• Les critiques devant sa position durant les événements ne prennent pas suffisamment en compte les obstacles à une rupture radicale de la politique américaine
• Obama montre une cohérence et une résilience audacieuses sur le sujet du Proche-Orient
• Il place la résolution du conflit israélo-palestinien dans le cadre d’une lutte civique plus qu’internationale qui fait écho à sa propre expérience américaine

Le scepticisme domine au Moyen-Orient car aucun tournant n’est venu soutenir le discours du Caire, et parce qu’Obama n’a pas pu surmonter les blocages au sein de la politique washingtonienne. Le soutien construit au fil du temps au profit de l’alliance américano-israélienne est tel que son caractère dit « inconditionnel » semble gravé dans le marbre au même titre que la Constitution des Etats-Unis. De ce point de vue, le scepticisme est donc justifié. Un président ne peut du jour au lendemain rééquilibrer une situation qui résulte d’une telle intimité. En revanche, les critiques qui dénoncent les hésitations de l’administration américaine ont beau jeu. Il était très difficile de prendre des décisions dans l’urgence, de s’aventurer à engager la crédibilité des Etats-Unis en faveur de mouvements incertains, mal identifiés, contre des régimes en place qui auraient pu mâter une rébellion trop faible et n’auraient alors laissé que le choix entre une rupture sans issue ou un conflit armé ouvert, que l’on aurait probablement vite fait de reprocher aux Etats-Unis comme un signe de leur impérialisme.

Obama fait preuve d’une grande cohérence dans son approche des relations avec le monde arabo-musulman. Pris de court par des événements imprévisibles qui laissent peu de marge d’erreur dans la réponse à leur apporter, et qui sont une étape historique vers le Moyen-Orient qu’il a lui-même décrit au Caire, il réaffirme sa compréhension des enjeux de la région. En particulier, se précise l’idée que l’échec socio-économique depuis les indépendances, par des régimes n’offrant guère de perspective mais confisquant la liberté au nom d’impératifs de sécurité, que ce soit ceux de la guerre froide ou du conflit israélo-palestinien, a nourri l’exaspération libérée dans les révoltes de 2011. Au-delà des relations interétatiques, c’est donc la force de l’émancipation que doit prendre en compte le président américain dans la restauration du leadership des Etats-Unis. Celle-ci fait pleinement écho aux valeurs universelles qu’entend incarner la démocratie américaine, mais elle n’a pas été le résultat d’actions des Etats-Unis. Elle s’est mise en marche sans regarder vers une Amérique dont l’exemple reste amoindri depuis l’invasion de l’Irak, et devant l’absence de changement majeur suite au discours du Caire. Il n’en reste pas moins qu’Obama creuse un sillon. Il conforte sa vision de la région et des relations avec les Etats-Unis, distinguant les Etats et les peuples et affirmant, pour l’essentiel, que la politique et les intérêts expliquent un divorce contre nature entre des Etats-Unis nés d’une rébellion contre un empire, et des peuples aspirant à une semblable émancipation. Cette connivence inaboutie, confisquée par la politique contemporaine, est probablement la raison pour laquelle, malgré la désillusion qui domine dans la région quant à la « magie Obama », une lueur d’espoir que les Etats-Unis rompent enfin avec leur politique passée de soutien aux régimes autoritaires et d’alliance « inconditionnelle » avec Israël, résiste sûrement au fond des esprits et des cœurs.

D’autant qu’Obama aborde le sujet israélo-palestinien d’une façon aussi nouvelle que subtile et en même temps subversive, en l’associant assez clairement à une lutte pour la « dignité humaine » comme le fut le combat pour les droits civiques des Noirs américains. Ce combat est aussi celui des Arabes qui renversent les régimes oppresseurs, et Obama le métis ne saurait mieux s’y identifier. Cette dimension passe souvent inaperçue, elle est pourtant la marque d’Obama, celle qu’il laissera dans l’histoire de la présidence américaine et du conflit du Proche-Orient., et elle réapparait dans le discours du 19 mai : « Je ne serais pas devant vous aujourd’hui si les générations passées n’avaient pas démontré la force morale de la non-violence pour renforcer notre union – organisant, marchant and manifestant pacifiquement… »

Enfin, le discours du 19 mai a reconnu une force en action dans le monde actuel, l’auto-détermination des peuples, qui est cœur de mon nouvel ouvrage, Le monde d’Obama. Ce que j’appelle l’émancipation, et que je décris comme le fait marquant du monde où Obama préside aux destinées de la première puissance du monde, Obama lui-même y fait référence dans son discours en parlant d’auto-détermination. Les deux termes se valent, ils désignent un phénomène avec lequel Obama est instinctivement en intelligence, celui où les peuples s’affirment dans l’histoire après l’âge des Etats et des idéologies. C’est du Moyen-Orient que le signal est parti en janvier 2011, mais il était décelable auparavant. Le monde d’Obama explique notamment pourquoi la Chine et son parti unique n’y échappent pas.

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