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22 avr. 2009

Obama: patriotisme ou blamegame?

Les Américains inventent des mots, répandus dans le langage courant, qui révèlent une partie de leur psychologie, en l'occurrence cette faculté de simplifier les réalités et de les distinguer selon une alternative "bien contre mal" qui porte une dimension morale. Les relations sociales n'échappent pas à ce comportement. Le "blamegame" consiste donc à rejeter la faute sur les autres et en même temps à stygmatiser, car la faute commise est généralement inséparable d'une défaillance morale. Le "blamegame" exprime aussi ce trait américain qui se manifeste de très nombreuses manières, une forme de naïveté.

La présidence Obama se veut campée sur une hauteur morale qui la conduit à reconnaître les erreurs de l'Amérique de façon à rétablir son exemplarité et son leadership. Cela, après une présidence Bush qui représenta, nous l'avons dit, une rupture dans l'histoire américaine et celle des Républicains, passe par une distanciation des actions de la précédente administration et des déclarations qui ne sont pas approuvées par tous. Un éloquent éditorial du Wall Street Journal (WSJ)du jour souligne ainsi, en plein débat sur les mémos sur la torture et après la visite historique du Président à la CIA, qu'à blâmer l'Amérique Obama en fait trop et risque de marquer les esprits américains de façon contre-productive pour sa présidence.

On peut comprendre la démarche de l'éditorialiste sans l'approuver, car restaurer le leadership américain passe probablement par cette forme de thérapie après les excès inimaginables de l'administration Bush-Cheney, y compris au plan intérieur avec les "cultures wars", les guerres de valeur où les Américains étaient dressés les uns contre les autres autour de sujets de société comme la religion, le mariage homosexuel, le libre port d'armes et l'avortement. L'Amérique est sortie exténuée de la campagne présidentielle de 2008 en raison de cette polarisation. Le discours d'Obama veut panser les plaies tant intérieures qu'extérieures, celles qui ont balafré l'image de l'Amérique dans le monde.

Du reste, soulever le blâme qu'Obama infligerait à son pays laisse entrevoir un doute maléfique qui ressemble à ce que Bill Clinton avait réveillé en reléguant la candidature d'Obama à une candidature noire de témoignage lors des primaires démocrates, à savoir le rejet qu'un Noir s'installe à la Maison-Blanche. Il fallait un Obama pour oser voir la vérité en face, et dès lors "Obama est-il vraiment des nôtres?" pourrait-on se demander en extrapolant l'éditorial du WSJ. "Sa trajectoire personnelle qui l'a fait s'interroger toute sa vie sur son appartenance et sur l'Amérique l'amène aujourd'hui à partager ses réflexions comme président, ce qui est un pas de trop dans l'introspection. Pour se guérir des excès bushiens, les Américains ont choisi l'outsider Obama, pensant ainsi se repentir, ils s'en mordront bientôt les doigts..." Il n'y a pas loin de l'analyse du WSJ à ce cheminement qui rouvrirait les plaies historiques du pays. En bref, le président des Etats-Unis serait-il assez patriote? Soit dit en passant, tous les Américains ont-ils la même conception de ce que doit être un patriote? Rien n'est moins sûr, et c'est précisément en puisant dans la réserve d'un nationalisme exacerbé que Bush-Cheney ont amené leur pays dans la voie de l'invasion de l'Irak, galvanisant une nation bouleversée par le 11/9 mais ignorante du monde et sûr d'elle, de sa supériorité morale et de sa mission en faveur du Bien.

Je crois que la vérité est ailleurs. S'il est compréhensible que certains Américains peuvent ne pas suivre leur président dans son discours de vérité, ainsi que le laisse entendre le WSJ, le patriotisme cérébral d'Obama est aussi sincère que le patriotisme sanguin de "W" qui, moins nuancé, est aussi moins adapté à un monde aux réalités internationales toujours plus complexes - et rendu plus complexe par les malentendus et les caricatures renforcés par la politique de George W. Bush et Dick Cheney.

Surtout, Obama a compris une chose que les années Bush ont exacerbée; l'Amérique a besoin de se retrouver, de renouer un lien national et de reprendre le fil de son histoire. Le lien social est mis à mal par la crise. Il l'était déjà par l'évolution d'un capitalisme dont se craquelait la colonne vertébrale, à savoir une classe moyenne ayant confiance dans l'avenir. La crise est venue rendre éclatante la sourde angoisse de l'Amérique, ce que j'appelle le malaise américain dans "Après Bush". Les enjeux économiques ont été au coeur du débat présidentiel, pas l'Irak. Tout aussi sourd était le délitement du lien national. Dans son message d'espoir et d'unité, incarné notamment par son métissage dans un pays marqué par l'esclavage, Obama a saisi parfaitement le besoin de communion qui se fait sentir en Amérique. En cela les Etats-Unis se rapprochent de la France, où la campagne du Président Sarkozy s'est en grande partie orientée sur ce thème - mettant même fin à la mode d'une repentance sans nuance où le passé français, en particulier colonial, était rejeté systématiquement.

Réconcilier les Américains avec leur pays et l'image qu'ils s'en font, c'est la vocation d'un Obama qui n'a cessé de s'interroger sur l'identité américaine, se découvrant adolescent étranger dans son propre pays du fait de sa race, puis se reconnaissant dans les Noirs sans pleinement appartenir à la communauté ni s'identifier à elle. D'un point de vue américain, avec toute la diversité de perspectives que cela comporte, on peut certes s'offusquer de certaines incidences comme le fait l'éditorialiste du WSJ, mais restaurer lien national américain est au fond la mission essentielle et le sens historique aussi de la présidence Obama.

Cette question nationale est, comme celle de la classe moyenne, la question centrale
pour la plupart des pays industriels; elle l'est en tout cas sûrement pour la France autant que pour les Etats-Unis.

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